Quelle PAC pour l’après 2020 pour répondre aux défis ?

Le 14 septembre 2018, au SPACE, lors du Carrefour International des Matières Premières, FEEDSIM a eu le plaisir de recevoir Hervé GUYOMARD, Directeur de Recherches à l’INRA et Expert de la PAC pour nous présenter la PAC pour l’après 2020. Retrouvez ci-dessous son analyse des propositions législatives de la Commission européenne de juin 2018.

« La critique est aisée mais l’art est difficile », Destouches, 1732. Voilà par quoi commence la présentation d’H. GUYOMARD, en rappelant que la commission européenne avance avec un cadre très contraint qui va au-delà de la question agricole et qu’il est important d’en tenir compte. Il rappelle également que personne ne connaît encore la réforme définitive.

 

Introduction

 

Au-delà des détails techniques et des spécificités de chaque réforme, on retrouve une ligne directrice :

  • Une diminution du soutien par les prix :
    • Maintien cependant des protections tarifaires et non tarifaires à l’importation ;
  • Une compensation des pertes induites de revenu par des aides directes, progressivement de plus en plus déconnectées des choix et niveaux de produits : découplage :
    • Maintien cependant d’aides directes couplées ;
  • Un versement des aides directes conditionné au respect d’exigences réglementaires et de bonnes pratiques ciblées essentiellement sur l’environnement : conditionnalité :
  • Des marges de manœuvre plus grandes laissées aux Etats membres : subsidiarité.

La PAC aujourd’hui au prisme de son budget (euros courants) et de l’allocation de ce dernier entre mesures

Les propositions de la Commission européenne pour la PAC après 2020

 

Les 9 objectifs spécifiques de la PAC après 2020

Volet économique :

  • Favoriser des revenus agricoles viables et la résilience sur le territoire de l’Union pour renforcer la sécurité alimentaire ;
  • Améliorer l’adaptation aux besoins du marché et accroître la compétitivité, notamment en mettant davantage l’accent sur la recherche, la technologie et la numérisation ;
  • Améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur.

 

Volet environnemental :

  • Contribuer à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation de ses effets, ainsi qu’au développement des énergies renouvelables ;
  • Favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles, telles que l’eau, les sols et l’air ;
  • Contribuer à la protection de la biodiversité, renforcer les services écosystémiques, et préserver les habitats et les paysages.

 

Volet social :

  • Attirer les jeunes agriculteurs et faciliter le développement commercial dans les zones rurales ; 
  • Promouvoir l’emploi, la croissance, l’inclusion sociale et le développement local dans les zones rurales, y compris la bioéconomie et la sylviculture durable ;
  • Améliorer la réponse du secteur agricole européen aux attentes sociétales en matière d’alimentation et de santé, notamment en matière d’alimentation saine, nutritive et durable et de bien-être animal.

 

Ces propositions soulèvent des premières interrogations :

  • Les mesures (instruments et budgets alloués) seront-elles suffisantes pour atteindre les objectifs ?
  • Avons-nous une compatibilité des objectifs, notamment des objectifs économiques et environnementaux ?
  • Qu’en est-il de la complétude des objectifs ?

 

Parmi ces propositions, on a le maintien de l’architecture en deux piliers (au-delà du financement, 100% UE dans le P1 et cofinancements dans le P2), il y a une difficulté de compréhension de la différence entre pilier 1 et pilier 2 dans le sens où on retrouve des mesures qui ciblent la même chose dans ces deux piliers.

Concernant le Pilier 1 :

  • On retrouve toujours une logique d’instruments emboîtés, avec :
    • Un soutien au revenu de base en faveur de la durabilité (aide / ha) : dégressivité et plafonnement -> objectif redistributif ;
    • Un soutien au revenu redistributif (aide / ha) : désormais obligatoire, en faveur des petites et moyennes EAs -> objectif redistributif ;
    • Un soutien en faveur des jeunes agriculteurs -> renouvellement des générations ;
    • Eco-scheme : obligatoire au niveau de l’EM, optionnel pour l’agriculteur, qui a pour objectif un ciblage sur l’environnement et le changement climatique -> objectifs environnementaux
    • Un soutien couplé au revenu :
  • Une conditionnalité renforcée -> objectifs environnementaux ;
  • Et des mesures de marché -> globalement inchangées.

 

Pour le Pilier 2, ces premières propositions ne font pas apparaître de changements notables relativement à 2014-2020. La PAC irait vers la même couverture thématique dans le cadre d’une baisse du budget plus forte pour le P2 que pour le P1 (voir la suite).

 

A noter une nouveauté pour cette PAC post 2020, une régulation des piliers 1 et 2 dans le cadre des Plans Stratégiques Nationaux (PSN). Ces PSN restent encore un peu flous et l’analyse est difficile dans l’état actuel des connaissances. L’EM aura le choix des instruments et des budgets alloués à chaque instrument, des indicateurs. La commission annonce une simplification au niveau UE par réduction des coûts d’administration UE, ce qui semble peu évident. Le transfert des coûts de transaction se fera à l’échelle des EM, et des agriculteurs. Cela soulève des interrogations sur la mise en œuvre concrète et une incertitude sur la réalisation des objectifs.

Il existait déjà de grandes marges de manœuvre dans la PAC actuelle, au niveau du P2 naturellement, mais aussi du P1 (paiement redistributif, verdissement, plafonnement, top up jeunes agriculteurs, aides couplées). Est-ce vraiment si nouveau ?

Cela rajoutera-t-il des distorsions entre EM ?

L’intérêt pour un EM contributeur net au budget de l’UE serait de défendre un budget élevé de la PAC.

Allons-nous vers une renationalisation de la PAC après demain ?

Un calendrier trop ambitieux …

 

  • Mai 2018 : CE -> Cadre Financier Pluriannuel (CFP) 2021-2027 (propositions)
  • Juin 2018 : CE -> Politique Agricole Commune (PAC) 2021-2027 (propositions)
  • Juin 2018 …. : Parlement européen et Conseil européen -> débats sur le CFP et la PAC de l’après-2020
  • Printemps 2019 : Chefs d’Etat et de Gouvernement -> accord sur le CFP (règle de l’unanimité)
  • Printemps 2019 : Trilogue (parlement, conseil et commission) -> accord sur la PAC de l’après-2020
  • Mai 2019 : Elections européennes
  • Eté 2019 : Entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne
  • Janvier 2021 : entrée en vigueur théorique de la PAC 2021-2027

 

…. qui ne pourra sans doute pas être respecté d’après H. GUYOMARD, en se basant sur les enseignements du passé et les réactions nationales sur les propositions CFP et PAC. Rajoutez à cela le Brexit, le nouveau Parlement et la nouvelle Commission qui apportent beaucoup d’incertitudes.

 

Le budget de la PAC après 2020

 

L’analyse n’est pas simple sur l’évolution du budget car la commission n’a pas été très transparente dans sa présentation, même si aujourd’hui il y a plus d’informations et malgré le fait que ces dernières ne soient pas toujours cohérentes. Ce qui est certain (schéma ci-dessous, présenté par la Commission Européenne), en pourcentage du budget total de l’UE, il y a diminution du budget de la PAC dans l’ensemble des dépenses de l’UE.

Il existe des incertitudes sur ce budget, dans le sens où calculer une évolution en euros est un exercice délicat, pour plusieurs raisons :

  • Des présentations peu transparentes par la CE ;
  • Une sortie du Royaume-Uni et « accession pleine » de la Croatie à partir de 2022 ;
  • Des méthodes différentes : Euros courants vs constants (choix du / des déflateurs) ;
  • Selon la base de comparaison :
    • Période complète : 2021-27 vs 2014-20 ou année terminale : 2027 vs 2020
    • Allocations théoriques ou dépenses réelles (2014-18) ;
    • Redistributions entre piliers incluses ou non (2014-2018).

 

Cependant, il est possible dès aujourd’hui de connaitre l’impact budgétaire mécanique de la sortie du Royaume-Uni, contributeur net au budget de l’UE (2ème après l’Allemagne) : Contenu réservé aux membres et à une certaine étape de leur parcours.

 

D’après un économiste Irlandais, spécialiste de la PAC, A. Matthews, il est prévu une baisse plus forte en euros courants que ne l’imposerait le seul Brexit :

  • En 2014-2020, le budget était de 408,312 mds d’euros ;
  • En 2014-2020, sans le RU, le budget aurait été de 380,829 mds d’euros (-27,483) ;
  • En 2021-2017, sans RU, un budget estimé à 365,005 mds d’euros (-43,307).

 

La baisse est « limitée » en euros courants et plus « accentuée » en euros constants (A. Matthews, 2018). 2021-2027 vs 2014-2020 (taux annuel d’inflation, ici pris à 2 %) : -4,2% en euros courants vs -15% en euros constants.

 

La baisse serait plus forte en pourcentage pour le second pilier que pour le premier (A. Matthews, 2018)

 

Les critiques sont quasi-unanimes (Parlement Européen, les états membres, profession agricole, ONG) : le budget est insuffisant. La commission répond en déclarant que cela est possible d’augmenter le budget, mais à condition de :

  • Soit augmenter davantage le budget de l’UE par les EM ;
  • Soit augmenter le budget alloué à la PAC aux dépens d’autres politiques de l’UE ;
  • Soit apporter des co-financements nationaux et/ou régionaux au budget.

Au vu de cette réponse, il semble indispensable de chercher d’autres financements. Le développement de marchés de biens alimentaires et non alimentaires (énergie) ; les paiements marchands pour services environnementaux, paysagers, touristiques et les instruments financiers sont des pistes à envisager.

Lors de la présentation, H. GUYOMARD a indiqué être peu optimiste quant à une augmentation du budget de la PAC par rapport à ce qui a été proposé.

 

L’environnement et le Changement Climatique dans la PAC de l’après 2020 ?

 

Selon les ONG environnementales, la PAC ne va pas assez loin dans la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Ce point de vue est non partagé par la CE (ambition environnementale de la PAC) et par de nombreux professionnels agricoles (contraintes environnementales)

Qu’en est-il réellement ? H. GUYOMARD nous a présenté les résultats possibles des propositions, faites-en juin dernier, sur l’environnement et le climat.

Budget ciblé sur l’environnement et le changement climatique ? Important ou non ?

La première réponse à apporter est la baisse du budget de la PAC qui serait plus prononcée pour le Pilier 2 que pour le Pilier 1. Toutefois, il existe des solutions aux EM pour y remédier :Contenu réservé aux membres et à une certaine étape de leur parcours.Grandes marges de manœuvre pour les EM pour définir les budgets finaux des 2 piliers : le passé suggère que les transferts seront vraisemblablement modestes.

40% du budget de la PAC seront ciblés sur l’environnement et le changement climatique selon la méthodologie dite des marqueurs de Rio, ce qui vraisemblablement, sera peu contraignant.

30% du budget du pilier 2 de la PAC seront cibléd sur les MAECs et les aides compensatrices dans les zones protégées, ce qui semble plus contraignant relativement à aujourd’hui car il y a une exclusion de la règle de comptage des aides compensatrices dans les zones moins favorisées : 16% du budget du P2 sur 2014-2020 (Horseman, 2018).

Une ambition augmentée sur l’environnement et le changement climatique ?

Pour l’après 2020, la CE partirait sur une suppression du verdissement en tant que tel mais serait intégré dans la conditionnalité. Cette dernière serait renforcée (réglementation en matière de protection de l’environnement, de la santé des hommes, des animaux et des plantes, et du bien-être animal = statuquo ; Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE) = renforcement).

Remarque sur les BCAE. Les règles détaillées de mise en œuvre seront définies par l’EM dans le cadre de son Plan Stratégique National ce qui peut entraîner un possible affaiblissement de la contrainte et des mises en œuvre nationales hétérogènes avec des risques de distorsion entre pays.

Apparition des « Eco-scheme » : outil qui serait obligatoire au niveau de l’EM mais optionnel pour l’agriculteur. On parle de contrats ciblés sur l’environnement et le changement climatique en financement des pratiques agricoles telles que « la bonne gestion des prairies permanentes et des éléments du paysage, ou l’AB », et/ou des dispositifs d’entrées conditionnant la possibilité d’engagements plus ambitieux au titre du P2.

Quelles différences entre l’éco-scheme et les MAECs ?

Les eco-scheme seront financés à 100% par l’UE (80% pour les MAECs) avec deux modalités de versement :

  • Paiement additionnel (/ ha) à l’aide au revenu de base
  • Paiement additionnel (/ ha) compensant les bénéficiaires pour tout ou partie des coûts supplémentaires ou des baisses de revenu induits par le respect des engagements fixés par l’Article 65 (MAECs)

L’interprétation est délicate (notamment de la deuxième modalité) mais cela ouvre des portes pour des paiements au-delà des augmentations de coûts et des diminutions de profit dus à des bonnes pratiques environnementales. Ce qui se rapproche de la création de Paiements (non marchands) pour Services Environnementaux (PSE)

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Des propositions à la hauteur du défi climatique ?

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L’économie dans la PAC de l’après 2020

 

Distribution des aides directes du premier pilier.

Il y a eu beaucoup de réformes antérieurs pour avoir une distribution des aides directes plus équitable, sans réelle progression. La PAC post 2020 a pour volonté d’aller plus loin.

Les propositions de la commission européenne annoncent un paiement redistributif en faveur des petites et moyennes exploitations. Le dispositif, optionnel dans la PAC 2014-2020 deviendrait obligatoire. Pour la France, le paiement redistributif serait favorable aux exploitations agricoles inférieures à 100 ha. A l’inverse cela serait défavorable aux exploitations agricoles supérieures à 100 ha (principalement les exploitations de plus de 300 ha).

Les propositions législatives de juin 2018 dépendront bien entendu des hectares éligibles et du budget.

Concernant la dégressivité et le plafonnement, il est annoncée une modification du dispositif appliqué dans le cadre de la PAC 2014-2020 :

  • -25% pour les aides directes comprises entre 60 et 75 k euros ;
  • -50% pour les aides directes comprises entre 75 et 90 k euros ;
  • -75% pour les aides directes comprises entre 90 et 100 k euros ;
  • -100% pour les aides directes au-delà de 100 k euros (plafonnement)

Ajouter à cela, une déduction des coûts du travail familial et salarié.

La redistribution serait limitée, par la conséquence directe de la déduction des coûts du travail salarié et familial et de la transparence des GAEC (interrogation d’H. GUYOMARD sur cette mesure pour favoriser l’emploi, de façon indirecte. Pourquoi ne pas faire des mesures agissant directement sur l’emploi). Encore une fois, il existe une incertitude sur l’ampleur du dispositif.

Risques et gestion des risques

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